J’ai toujours été à la recherche d’une matière avec laquelle échanger, une « matière » qui deviendrait mon moyen d’expression. Naturellement je me suis orientée vers les métiers d’art, la céramique, le design, le contact avec la terre, moi qui n’en avais pas. Après avoir passé sept années à chercher, cette matière est venue à moi sous la forme de « mots« , « d’images« , il s’agissait des histoires. Mais une fois la matière trouvée, qu’avais-je donc à dire ?
Aucun livre ne m’apportait de vraies sensations, j’avais besoin de contact, d’une rencontre, d’être sur le terrain, dans l’action du conte pour qu’il devienne un souvenir et que je puisse le vivre et non le jouer. Puis je rencontre une légende, elle est de Polynésie, c’est celle de Nikorima, un guerrier au visage à moitié tatoué qui danse pour défendre son village. C’est une révélation. Six mois à peine après avoir découvert ce qu’est l’oralité, je trouve l’histoire que je veux raconter ! Milles questions viennent à moi concernant cette histoire, je voudrais que quelqu’un me la raconte. Mais la Polynésie est vaste, de quelle île vient-elle?
En parallèle de ce questionnement, il y avait cette découverte de la scène. Je n’avais jamais été devant un public, jamais de théâtre. Je suis donc entrée pour deux ans dans une école de formation en clown et cirque, sans perdre de vue ma quête.
En 2005, je termine cette formation de clown, abimée, mais y ayant appris beaucoup sur moi et sur mon plaisir du jeu et l’exploration de mon énergie. Plus déterminée que jamais, je m’envole pour trois mois de périple sur les îles de Polynésie française à la recherche de la légende de Nikorima.
Une fois sur place, cette histoire, personne ne la connaissait, mais intrigués par ma démarche, les gens m’ont guidée chez les anciens. Ils leurs ont demandé de me raconter les légendes de leurs guerriers, ceux qui avaient foulé leur terre.
Alors que je cherchais une histoire bien précise, je me suis retrouvée à écouter durant des heures, en français, souvent en tahitien ou marquisien, une multitude de légendes, des bouts d’épopées, des mythes, des morceaux du chant de la création du monde. Ces paroles m’étaient données, je les écoutais, enregistrais, traduisais. Il ne m’apparait qu’aujourd’hui que l’on m’a donné bien plus; des trésors, la mémoire, le livre sacré, les racines d’un peuple, je suis entrée dans les codes d’une transmission orale.
De retour en Septembre 2005, bouleversée, je ne me sentais pas à ma place pour pouvoir raconter ces histoires. L’élan est venu d’une parole qui m’a poussée comme une main qui vous déséquilibre et vous oblige à faire un pas sur un fil au dessus d’un gouffre.
C’est Débora Kimitete qui, avec ce regard sombre qu’ont les polynésiens, m’a dit, « Oui tu vas te tromper, tu n’es pas polynésienne et des choses vont t’échapper, mais l’offense n’est pas de se tromper, c’est de se taire alors que les vieux ont parlé. C’est à toi qu’ils ont donné, alors raconte« .
De ce jour, j’ai commencé à raconter les légendes polynésiennes que l’on m’avait transmises. Il y avait une dimension, une puissance que j’avais sentie aux îles Marquises que je ne pouvais trouver dans les mots, alors malgré moi, sans que je ne puisse le contrôler, j’ai commencé à danser les histoires. Je me suis inspirée des gestes que j’avais vus. Pour ordonner, canaliser, comprendre, j’ai demandé des conseils à Jane Burns, chorégraphe tahitienne vivant à Paris et j’ai affiné, choisi les mouvements, appris des chants en tahitien, marquisien, j’ai mixé le tout, et mes premiers spectacles chantés et dansés sont nés.